Dans un tweet de novembre 2018, Mat Velloso, conseiller technique du PDG de Microsoft, exprimait l’idée suivante : « Difference between machine learning and AI: If it is written in Python, it’s probably machine learning. If it is written in PowerPoint, it’s probably AI. »1
Avec ses 24 000 mentions « J’aime », ce tweet est révélateur de l’engouement suscité par l’IA dans les services marketing et les médias ces trois dernières années. L’avènement du Machine Learning et du Deep learning a donné naissance à des thèses approximatives selon lesquelles les humains seraient sur le point de créer une machine à leur propre image, dotée d’un système de pensée autonome – des algorithmes de plus en plus complexes donnant naissance in fine à cette fameuse intelligence artificielle dite « généraliste ».
Il est vrai que les réseaux neuronaux artificiels ont bouleversé le domaine de la reconnaissance d’images et transformé le traitement du langage naturel. Ainsi, Baidu, le moteur de recherche chinois, a récemment soumis ERNIE, son modèle de compréhension du langage, au test GLUE (General Language Understanding Evaluation) et obtenu le score optimal. Nous savons que des machines intelligentes surpassent et battent les humains à des jeux tels que le jeu de Go. Cependant, le qualificatif « Intelligent » nous avait laissé percevoir tout un champ de possibilités. On nous promettait des bots avec lesquels il serait possible de discuter naturellement et des voitures autonomes circulant en masse sur nos routes.
En dépit de toutes ces promesses, le seul changement perceptible pour le conducteur moyen est de pouvoir désormais sélectionner oralement la musique qu’il souhaite écouter, les deux mains agrippées au volant, et les yeux toujours bien fixés sur la route. Même si quelques machines ont réussi avec brio le test de Turing sur un périmètre restreint, les résultats escomptés sont loin d’avoir été atteints. Soyons sérieux : jusqu’à présent, l’intelligence artificielle présentée à longueur de powerpoint n’a pas su répondre aux folles attentes qu’elle avait suscitées.
Et nous ne parlons pas ici d’un simple retard à l’allumage. C’est précisément dans les applications les plus proches de la science fiction que les IA actuelles sont entrées dans une zone d’asymptote : les systèmes doivent engloutir toujours plus de données pour des résultats finalement marginaux. Le seul coût de la collecte et du nettoyage des données représentatives devient prohibitif. La puissance de traitement requise pour former ou appliquer des algorithmes d’IA dépasse largement les limites de la loi de Moore, à tel point que seule l’informatique quantique semble être capable de relever le défi.
De façon plus pragmatique et sur le court terme, les chercheurs envisagent une méthode hybride reposant à la fois sur le « data crunching » et sur une méthode plus traditionnelle de création de règles. Ainsi, les chercheurs chinois se tournent vers d’autres solutions que l’apprentissage par l’IA pour le développement des voitures autonomes : les véhicules sont assistés par des dispositifs placés au bord des routes, qui transmettent des règles fixes, comme la limitation de vitesse. En tournant le dos aux technologies de Machine Learning, ils ont ravivé la guerre entre les partisans d’une IA basée sur la logique (les « symbolistes ») et ceux encourageant une approche basée sur le Deep Learning (les « connexionnistes »).
Les chercheurs nous avaient pourtant mis en garde contre les attentes démesurées placées dans l’IA. Depuis les années 60, l’IA a connu plusieurs périodes de déclin et c’est sans surprise que nous entamons une nouvelle phase descendante.
Toutefois, évitons de jeter le bébé du Machine-Learning avec l’eau du bain (de l’IA). De nombreux domaines a priori moins attractifs que les véhicules autonomes et les chatbots offrent des perspectives prometteuses où les applications du Machine Learning sont dans la partie ascendante de la courbe. Dans un rapport de 2020 sur l’avenir de l’IA, PwC U.S estime que les avancées les plus spectaculaires en matière d’IA viendront de réalisations d’apparence banale comme les gains de productivité au niveau des processus internes, et invite les entreprises à se lancer sans délai dans « l’IA ennuyeuse ».
C’est ainsi que des entreprises innovantes, bien que ne disposant pas des ressources des Google et autres Tesla, ont commencé par expérimenter ces technologies en les appliquant à un périmètre restreint puis les ont déployées progressivement sur l’ensemble des processus. Elles sont parties de quelques analyses prédictives puis, de là, ont entrepris d’automatiser des processus de plus en plus décisifs.
Par exemple, certaines d’entre elles ont commencé par rechercher quels clients présentaient le plus grand risque de résiliation, puis sont allées jusqu’à placer leur stratégie d’engagement client en pilotage automatique. D’autres sont parties de l’identification des comportements de paiement de leurs clients et ont fini par baser leur processus de recouvrement sur les recommandations des machines.
Quelles sont les clés de leur succès ? Des objectifs bien définis et réalisables, une progression par étapes impliquant des phases successives de succès, d’échecs et d’apprentissage. Le suivi d’indicateurs permettant d’évaluer les progrès réalisés est un autre facteur déterminant. Enfin, la réussite passe par une approche pragmatique conciliant Machine Learning et règles imposées par l’humain. Bien entendu, l’ingestion de larges volumes de données et l’application d’algorithmes sophistiqués restent indispensables. Mais le résultat obtenu vaut largement l’effort consenti.
Il est certain que nous ne faisons ici qu’effleurer le potentiel de l’IA dans ces domaines : selon McKinsey, ces améliorations de processus auront un effet boule de neige et obligeront les entreprises à repenser leur organisation. A mesure que les entreprises délaisseront les organisations en silo pour une collaboration interdisciplinaire, elles engrangeront des bénéfices à plus grande échelle.
La question de savoir si le Machine-Learning nous offre des perspectives dignes des romans d’anticipation n’a aucun intérêt. Le potentiel de l’approche « data-driven » pour transformer les processus et les organisations dans leur ensemble est loin d’avoir été exploité. Les possibilités offertes par le Machine learning recèlent suffisamment de création de valeur pour la décennie qui s’ouvre. Il est urgent de se débarrasser des présentations Powerpoint et de commencer à programmer en Python. Il est temps de passer à l’IA ennuyeuse !